As a follow up to her recently published PhD thesis Claudine Uwera gives an interview to the French Science magazine “SciDev.Net” and debates against the Deputy Director of the Energy and Water Authority in Rwanda. (In French)
La problématique de l'eau a fait l'objet de nombreuses études, dont l'une des plus récentes est la thèse que Claudine Uwera, titulaire d'un doctorat en économie environnementale, a soutenue à l'université de Gothenburg, en Suède.
L’auteur a axé son étude sur le cas du Rwanda, son pays d’origine, pour relever plusieurs facteurs aggravants de la pauvreté liés à un réseau déficient de distribution d’eau courante.
"La rareté de plus en plus croissante des ressources en eau est une réalité dans de nombreuses parties du monde, particulièrement dans les pays en développement ", déclare Claudine Uwera dans une interview à SciDev.Net, soulignant ce qui, à ses yeux, constitue l'intérêt de sa recherche, qu'elle présente comme une contribution à une meilleure compréhension analytique d'un problème devenu l'un des défis majeurs du 21ème siècle.
Claudine Uwera explique que dans ces pays en développement, les services d'adduction en eau potable, de même que les services d'hygiène publique sont encore quasi-absents. Il en résulte qu'une multitude de personnes contractent des maladies évitables et des millions en meurent chaque année.
Mais pourquoi le Rwanda comme cas d'étude? "Le Rwanda, dont je suis ressortissante, reste un pays déficient en eau et les problèmes d'adduction que connaissent d'autres pays en développement sont aussi valables pour le Rwanda ", répond le chercheur.
Cependant, pour le Programme Eau, Assainissement et Hygiène (WSP, Water and Sanitation Programme, une initiative administrée par la Banque Mondiale), le Rwanda est un bon élève. Dans son dernier rapport d'évaluation des politiques d'approvisionnement en eau d'un certain nombre de pays africains, le WSP fait ressortir que Kigali a fait d'énormes progrès dans le renforcement de ses infrastructures hydrauliques au cours des dernières années.
Le pays y est parvenu à travers un engagement politique pour la réalisation d'un ensemble d'objectifs, dont l'épine dorsale est l'EDPRS — le programme Stratégique pour le développement économique et la réduction de la pauvreté. Le pays a également souscrit aux Objectifs du millénaire pour le développement qui arrivent à échéance en 2015, et a fait pari sur l'avenir à travers un autre programme national baptisé Vision 2020.
En plus de cette batterie de programmes, les autorités rwandaises ont récemment renforcé leur cadre institutionnel en actualisant, notamment en 2010, le cadre stratégique national pour l'eau et l'assainissement. Ce programme multisectoriel comporte un volet approvisionnement, dont la mise en œuvre est menée sous la houlette du ministère de l'Infrastructure, en collaboration avec le département de la Santé, notamment chargé du volet assainissement.
Mais en dépit de tout ce dispositif, Claudine Uwera souligne dans sa thèse que le gouvernement rwandais n'est pas près de remporter la bataille de l'eau potable pour tous, faisant observer qu'il y a toujours un écart entre la demande et l'offre.
Selon les statistiques sur lesquelles elle s'est basée pour tirer ses conclusions, seulement 3,4% des Rwandais ont de l'eau courante à domicile. Mais le chiffre est plus élevé, de l’ordre de 32% pour les populations qui, sans avoir l’eau courante à la maison, y ont néanmoins accès, soit par les grâces d'un voisin privilégié ou par le fait qu'elles sont situées à proximité d'une borne fontaine publique.
“A peu près 15% de l'eau est perdue, à cause de problèmes techniques - tuyaux endommagés, maintenance aléatoire et pannes générales - et on a donc là un système en délabrement”
Claudine Uwera
En lisant entre les chiffres, on se rend compte que plus de la moitié de la population rwandaise n'a donc pas accès à l'eau courante et est obligée de recourir à des sources d'approvisionnement alternatives - puits et eau de source, protégée ou non -, ce qui l'expose à certaines maladies diarrhéiques et infectieuses.
L'une des raisons pour lesquelles l'eau potable reste une rareté pour cette bonne partie des Rwandais, comme la thèse en fait état, est la limitation et le mauvais état des infrastructures. À ce propos, Mme Uwera a confié à SciDev.Net : "On estime que plus du tiers des infrastructures d'approvisionnement en eau du [Rwanda] nécessite une urgente réhabilitation. En fait, à peu près 15% de l'eau passe en perte à cause de problèmes techniques - tuyaux endommagés, maintenance aléatoire et pannes générales - et on a donc là un système en délabrement."
En somme, l'incapacité du financement à répondre aux coûts essentiels de maintenance des infrastructures, qui est à son tour due à l'actuelle tarification irréaliste de l'accès à l'eau, conduit à des services d'approvisionnement inefficaces. Le défi qui s'en dégage dès lors est de trouver les moyens pour réhabiliter et pour davantage développer les infrastructures.
Mais il y a un impondérable, comme le confie Claudine Uwera : "Il n'est pas facile de savoir combien de personnes seraient prêtes ou capables de payer pour avoir accès au réseau hydraulique. [...] Une analyse coût-avantage pourrait s'avérer indispensable. "
En dehors du cercle universitaire, le premier destinataire apparent des conclusions de l'étude est le gouvernement rwandais. Mais à Kigali, les autorités en charge de l'eau n'épousent pas entièrement les conclusions de la thèse.
Différence d’approche
"Les données qu'elle a présentées me paraissent bonnes", déclare ainsi à SciDev.Net M. James Sano, directeur adjoint chargé de la distribution de l'eau et de l'assainissement à l'Autorité de l'énergie et de l'eau du Rwanda. "Mais elles ne représentent pas le genre de données que nous collectons ici au Rwanda."
Selon James Sano, Claudine Uwera a tiré ses conclusions en procédant d'une analyse qui sied au contexte d'un pays occidental, mais pas au contexte rwandais ou africain. Et pour lui, toute la différence se trouve dans la définition de la notion "d'accès à l'eau"; définition déterminée au Rwanda et dans d'autres pays africains dans le cadre d'un programme national.
Le responsable rwandais explique : "En Suède, quand on dit que quelqu'un a accès à l'eau, ça veut dire qu'il a de l'eau courante dans son domicile. Ici au Rwanda, la distance [NDLR: par rapport au point d'eau] est plutôt le facteur essentiel, de sorte que si quelqu'un est situé à une certaine distance d'un point d'eau, on dit qu'il a accès à l'eau."
En effet, selon le cadre de référence de l'Autorité de l'eau et de l'assainissement au Rwanda, à 200 mètres d'une borne fontaine, un individu en ville est considéré comme ayant accès à l'eau, tandis qu'en campagne, ce critère est de 500 mètres. Ce cadre définit, en plus de l'accès géographique, d'autres critères d'accessibilité : une qualité conforme aux normes nationales et à celles de l'Organisation mondiale de la santé; la vérification du facteur adéquation pour s'assurer que l'eau est en quantité suffisante; et enfin le niveau du service.
Prenant en compte ces critères nationaux, James Sano livre son verdict sur le travail de sa compatriote : "La thèse ne reflète pas la situation ici, mais si nous prenons le contexte suédois en compte, elle [NDLR : Claudine Uwera] a raison."
Pour souligner à quel point les chiffres peuvent varier d'une définition de la notion "d'accès à l'eau" à une autre, l'ingénieur rwandais présente un tableau montrant son pays en passe d'atteindre son objectif de l'eau potable pour tous.
"Présentement, l'effort est accentué sur l'accès à l'eau de robinet, mais en zones rurales, vous verrez des gens qui ont accès à l'eau de source, toute fraîche et non polluée", dit-il.
"Selon nos programmes, nous considérons que ces gens-là ont accès à l'eau potable. Mais le robinet représente 80% de tous ceux qui ont accès à l'eau potable, et ces derniers sont de 74% (de la population)."
Crise de l'eau
En revanche, l'ingénieur admet que les Rwandais qui disposent de l'eau courante à domicile sont une minorité, estimée à 20%; ce qui est néanmoins plus de six fois supérieur à celui de 3,4% référencé dans l'étude présentée à l'université de Gothenburg. Il souligne que ce taux est sensiblement le même que celui de la proportion de la population rwandaise vivant dans les centres urbains, où presque tous les foyers, dit-il, ont l'eau de robinet dans l'enceinte des cours.
Serait-il alors farfelu de dire qu'il y a une crise de l'eau au Rwanda? La réponse que James Sano donne à cette question révèle qu'au-delà de la différence de cadres de référence - une différence qui débouche donc sur cet écart entre les chiffres de Claudine Uwera et les statistiques officielles -, la recherche de l'universitaire expose un défi bien réel qu'il n'a pas de la peine à reconnaître.
"Si la thèse porte sur la crise de l'eau au Rwanda, c'est toute une chose différente ", dit M. Sano. "Ce n'est un secret pour personne: la situation de l'eau au Rwanda est bien connue. Nous connaissons nos niveaux de couverture en eau. Bien entendu, ce n'est pas parfait. Nous continuons les efforts de développement."
Il y a un fait que le responsable ne veut pas perdre de vue. Avant et quelques temps après le génocide de 1994, obtenir de l'eau était un parcours du combattant au Rwanda. Les populations des campagnes devaient se réveiller tôt avec des bidons pour voyager sur de longues distances en direction de la ville, juste pour aller chercher l'eau. Parce que le seul endroit où l'on pouvait à coup sûr trouver de l'eau potable, c'était le centre-ville.
Aujourd'hui, les choses se sont considérablement améliorées; ce qui n'est pas occulté dans la thèse de Claudine Uwera, qui est par ailleurs loin de se vouloir une analyse "diachronique" de la problématique de l'eau au Rwanda, mais plutôt et surtout un regard profond sur la réalité du fait aujourd'hui. Et puisqu'en outre, l'étude est une projection sur la question de la durabilité et de l'universalisation de l'accès à l'eau, il est facile d'y voir une abstraction des progrès réalisés depuis les deux dernières décennies.
Dans la thèse, orientée vers la recherche d'une solution pour vaincre les aléas défavorables aux politiques d'approvisionnement en eau — au Rwanda comme ailleurs dans le monde en développement —l'universitaire estime qu'il est important de bien maîtriser un certain nombre de facteurs.
"Dans les pays en développement, soutient-elle, [ces facteurs] sont nombreux, complexes, interdépendants et souvent influencés par des décisions politiques, l'instabilité, la pauvreté et la guerre civile."
Problèmes de financement
Pour le Rwanda, depuis la fin du génocide, plus que la guerre civile et l'instabilité, ce sont vraisemblablement trois facteurs qui alimentent les problèmes d'adduction en eau potable : la pression démographique avec une population qui croit au rythme de 2,5%, l'insuffisance des investissements en infrastructures, et la rareté des ressources naturelles en eau.
En raison de la limitation du financement, le réseau hydraulique se développe moins rapidement que ne croît la population. Or, compter sur une tarification réaliste de l'eau pour financer la maintenance et l'expansion des infrastructures conduira nécessairement à l'exclusion des plus démunis du réseau hydraulique; ce qui obligera ces derniers à se tourner vers les sources d'eau alternatives avec ce que cela comporte de conséquences pour leur santé.
Claudine Uwera préconise, à défaut de l'extension du réseau d'approvisionnement en eau courante, une amélioration de la qualité de ces sources alternatives - puits, eau de source - pour éradiquer les maladies potentiellement associées à la consommation d'eau de mauvaise qualité.
Et à en croire l'évaluation du WSP — le programme de la Banque Mondiale pour l'eau et l'assainissement —, le Rwanda est capable de bien mieux et peut même atteindre ses objectifs avec un petit coup de pouce.
"Le [pays] est en train de rattraper son retard sur la réalisation de ses objectifs, souligne le WSP, mais il est improbable qu'il parvienne à ses niveaux de couverture désirés à l'horizon 2015 sans une augmentation des financements."
Mais James Sano, pour qui l'eau est un droit au Rwanda, est plus optimiste. Il se dit persuadé que le défi n'est pas insurmontable, d'autant plus que tout ce qu'il faut, selon lui, est en place.
"Nous avons des projets dans presque 50% des communes au Rwanda ", rassure l'ingénieur. "[...] On a le programme EDPRS, qui nous encourage à explorer de nouvelles opportunités pour le financement des projets."
Il fait cas de deux grands projets mis en œuvre à travers le PPP — le Partenariat Public et Privé, une initiative à travers laquelle les autorités rwandaises incitent les investisseurs à s'engager pour l'exécution, entre autres, des projets hydrauliques. À travers ces deux projets en question, dont la production journalière cumulée devrait être de 46 000 mètres cubes, les autorités rwandaises espèrent en finir avec le problème de l'eau dans leur pays - à Kigali et dans toutes les zones aux alentours de Kigali.
D'où cette profession de foi de James Sano : "Nous sommes certains de pouvoir fournir de l'eau à tous. [...] Je ne vois pas de raisons pour lesquelles, dans un pays de la taille du Rwanda, où les infrastructures sont en expansion, l'on ne pourra pas fournir de l'eau à tous."
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